25/05/2013 - Le Soleil - Valérie Gaudreau - Politique municipale: trop de pouvoir aux citoyens?

(Québec) Des élus de la Ville de Québec n'ont pas caché ces derniers temps en avoir marre des citoyens qui «bloquent» des projets. En s'opposant à un changement de zonage à coup de signatures de registres, une minorité fait primer ses intérêts personnels et freine le développement, soutiennent les élus. Vraiment? Les avis sont partagés.

Mercredi, le conseiller municipal Richard Côté a dit trouver «incroyable», «pas d'allure» et «frustrant» que «50 ou 100 personnes puissent bloquer un projet majeur pour la Ville», comme c'est le cas des citoyens de Charlesbourg en faveur d'un référendum sur le projet Nodélo.

En janvier, son collègue François Picard s'est dit «écoeuré de la maudite politique» et de ceux qui «viennent juste critiquer au lieu d'amener des propositions intéressantes».

Ces propos ont largement trouvé écho chez les autres élus d'Équipe Labeaume.

Trop de pouvoir entre les mains des citoyens, donc? «Oui», lance Me Sébastien Laprise, qui a cosigné avec Jean-Paul L'Allier et Denis Boutin en 2008 un rapport qui ne recommandait rien de moins que l'abolition des référendums.

«Actuellement, le citoyen intervient au mauvais moment et on se retrouve dans une situation où il peut bloquer carrément un projet, même s'il est dans l'intérêt public qu'il se réalise», résume cet avocat spécialisé en droit municipal. «Pour moi, c'est contraire au sens politique de l'aménagement du territoire», poursuit-il en résumant les grandes lignes du rapport rédigé pour le compte de l'Union des municipalités du Québec.

Consulter en amont

La solution? Remplacer le processus référendaire par une consultation des citoyens en amont, dans une politique de consultation claire et balisée. «On place le citoyen devant le fait accompli. Et la seule alternative qu'il a est de s'opposer sans avoir toute l'information sur le projet, sur la base d'avis publics complexes», estime Me Laprise. Après, il reviendra aux élus de trancher. «On a fait le pari qu'en consultant les citoyens au bon moment et de la bonne façon, on n'aura pas besoin de référendum», soutient-il.

À la Ville de Québec, on demande maintenant au promoteur d'expliquer son projet aux citoyens avant qu'une demande de changement de zonage ne soit déposée aux élus. Mais le processus est récent, il n'est pas systématique et l'organisation de la consultation est souvent laissée aux soins du promoteur.

Serge Belley, professeur à l'École nationale d'administration publique (ENAP), croit aussi qu'une consultation en amont éviterait de placer les citoyens en opposition une fois que le projet de changement au zonage leur est présenté.

Mais de là à laisser tomber les référendums, il y a une marge. Donner carte blanche aux élus n'est pas une solution, dit-il.

«Ce serait comme si le pouvoir citoyen n'existait qu'une fois tous les quatre ans. C'est la démocratie électorale uniquement. La démocratie doit pouvoir prendre place entre deux élections», explique-t-il.

Et M. Belley remet aussi les choses en perspective quant au nombre de projets qui font l'objet d'ouverture de registres en vue d'un référendum.

«Il ne faut pas exagérer comme si ça se passait 10 fois par semaine», illustre-t-il.

«Si on met dans la balance les fois où ça se produit sur l'ensemble des projets réalisés dans une ville au cours d'une année, les référendums possibles sont assez peu nombreux.»

Pour qu'il y ait ouverture de registre demandant un référendum, il doit y avoir changement au zonage. Dans le cas du quartier Nodélo, le changement vise notamment à permettre une forte densification et des édifices de 6 à 11 étages.

Dans plusieurs cas, lorsque la Ville et un promoteur font face à la perspective d'un référendum, le projet est modifié, rejeté, ou renvoyé aux calendes grecques.

Depuis la fusion de la grande Ville de Québec, seulement trois projets se sont rendus jusqu'à l'étape du référendum, dont celui, en 2004, d'un complexe de condominiums dans l'ancienne école Saints-Martyrs-Canadiens. Le projet modifié s'est finalement réalisé en 2009. En septembre 2007, référendum aussi contre des changements à la résidence La Champenoise. Puis, en février 2012, les citoyens votent à 53 % contre un projet à l'îlot Irving, rue Saint-Jean.

Le conseiller d'opposition Yvon Bussières a vécu deux référendums dans son district. «La loi est là, les citoyens sont vigilants. Le processus de référendum est comme un chien de garde», illustre-t-il. «C'est une question de philosophie et des valeurs démocratiques. Est-ce qu'on donne encore le pouvoir d'arrêter le projet ou on leur donne seulement le pouvoir d'élire des gens? Si on décide d'impliquer les citoyens, ce sera un succès.»

Contestation lévisienne

Du côté de Lévis, la conseillère Anne Ladouceur estime que trop souvent, un nombre restreint de citoyens peut bloquer un projet. L'élue, qui a vécu la contestation citoyenne dans le cas du projet Roc-Pointe, à Saint-Nicolas, estime que les intérêts collectifs en souffrent parfois. «Je trouve ça correct que ce soit possible pour les citoyens de se prononcer. Ce que je trouve dur, c'est le petit nombre que ça prend pour bloquer quelque chose.»

Les citoyens devraient s'informer davantage quand ils achètent une maison située près d'une zone non développée afin d'éviter les mauvaises surprises, croit-elle. «Il ne faut pas que les gens prennent pour acquis que s'ils arrivent dans une zone urbaine et qu'heureusement, pour l'instant, ils profitent d'un boisé», ce sera toujours le cas. Cela fait partie des responsabilités de l'acheteur, dit-elle.

Avec la collaboration de Stéphanie Martin

*****

Quatre projets controversés

Le système actuel permet aux citoyens de dire non à un projet immobilier par référendum. Cette ultime étape est toutefois rarement atteinte, les promoteurs et élus préférant souvent faire marche arrière avant la tenue d'un tel scrutin. Survol de quatre récents projets qui ont suscité l'opposition et fait couler beaucoup d'encre.

Îlot Irving
En février 2012, au terme d'une campagne souvent acrimonieuse, les citoyens du quartier Saint-Jean-Baptiste se prononcent contre le projet du promoteur GM Développement, qui souhaite construire un édifice de neuf étages avec 70 condos et 20 unités de coopérative d'habitation. La campagne référendaire a souvent été acrimonieuse, menant notamment à la poursuite de deux citoyens par GM Développement, qui les accuse d'avoir fait circuler des images fausses et diffamatoires quant au gabarit du projet. En septembre, le promoteur propose une version modifiée de six étages sans logement social, qui se retrouve aussi devant de l'opposition lors d'une soirée de consultation. Une nouvelle ronde de consultation entre GM Développement et le conseil de quartier devrait se tenir bientôt.

Sainte-Maria-Goretti
En 2011, malgré plusieurs efforts, des citoyens opposés à la construction de 175 logements dans le secteur de Sainte-Maria-Goretti, dans Charlesbourg, ne sont jamais arrivés à forcer la tenue d'un référendum sur le projet. La Ville de Québec a en effet invoqué le règlement 74.4 de la Charte de la Ville pour soustraire le développement résidentiel au processus référendaire. Ce règlement stipule que la Ville peut permettre la construction d'un immeuble dont la superficie est supérieure à 25 000 m2.

Roc-Pointe
En septembre 2011, une forte proportion de citoyens ont signé les registres demandant la tenue d'un référendum sur la construction de 1300 appartements sur une superficie de 100hectares dans le secteur Saint-Nicolas. Devant cette perspective, la Ville de Lévis a renoncé à modifier le zonage. Le projet est de retour à la case départ.

Projet Silva
Au printemps 2012, les citoyens de Lac-Beauport votent pour la tenue d'un référendum sur le projet du promoteur Leboeuf société immobilière (le même que Nodélo), qui souhaite construire 166 maisons en rangée et céder une partie de terrain pour que la municipalité y bâtisse une école. Finalement, la découverte d'un vieux règlement oublié qui aurait forcé Lac-Beauport à reprendre tout le processus de consultation à zéro annule la perspective d'un référendum. Le promoteur promet alors une version revue de son projet. En 2012, la municipalité annonce qu'elle garantit que le secteur sera doté d'une nouvelle école et qu'elle procédera plutôt par un programme particulier d'urbanisme (PPU).

http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/la-capitale/201305/24/01-4654273-politique-municipale-trop-de-pouvoir-aux-citoyens.php

 

 

Ajouter un commentaire
 

Créer un site internet avec e-monsite - Signaler un contenu illicite sur ce site